1962 – 2024, soixante deux ans séparent ces deux dates qui ont pour point commun le dépôt d’une motion de censure, l’une contre le gouvernement de Georges Pompidou et l’autre celui de Michel Barnier, par ailleurs grand admirateur du Premier ministre du général de Gaulle, celui-là même qui aimait à dire « Il faut arrêter d’emmerder les français« , une phrase toujours d’actualité.  Deux motions de censure au cours d’une République née en 1958 avec le retour de Charles de Gaulle à l’Elysée, c’est dire leur caractère exceptionnel et la gravité du moment.

Cette journée du mercredi 4 décembre restera dans la mémoire collective comme une journée des dupes et n’est pas sans rappeler celle du 11 novembre 1630 (dont elle tire son nom) lorsque Louis XIII, contre toute attente, réitéra sa confiance à son ministre Richelieu, éliminant ainsi ses adversaires politiques et contraignant la reine-mère Marie de Médicis à l’exil. Certes la France ne vit plus sous la menace d’une guerre de trente ans, mais les inquiétudes sont bien là, présentes à nos portes, des risques de guerre européenne à une crise financière, en passant par les faillites d’entreprises et les mouvements sociaux.

Journée des dupes car pour être votée la motion de censure devait recueillir les voix de LFI et du Rassemblement national, une alliance qualifiée à juste titre par le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau de « mariage de la carpe et du lapin ». Comment les électeurs, non pas les députés et les cadres du RN, jugeront-ils demain cette accointance contre nature, cette union illégitime, entre les défenseur de l’ordre et de la sécurité avec des députés qui refusent de reconnaître le pogrom et les tueries du 7 octobre 2023 en Israël commis par des barbares islamistes, qui refusent également de qualifier ceux-ci de « terroristes » leur préférant le terme de « résistants », ce qui est une ignominie, ou qui ont voulu abolir la loi condamnant l’apologie du terrorisme, j’en passe et des meilleurs.

Quant aux insoumis, comment ont-ils pu accepter que les députés de Marine Le Pen mêlent leurs voix aux leurs pour obtenir la majorité nécessaire à l’adoption d’une motion de censure, alors que voici quelques mois ils ont appelé à faire un « barrage républicain » contre ces mêmes députés ? Il y a là une forme de duplicité, un marché de dupes qui atteint des hauteurs himalayennes, les uns et les autres ayant vendu leur âme au diable et ont partagé le repas avec lui sans même prendre la précaution de se munir d’une longue cuillère.

Par ailleurs comment ne pas s’arrêter un instant sur les arrière-pensées de l’extrême droite savourant là sa vengeance au lendemain des réquisitoires extrêmement graves portés par la justice à l’encontre de leur leader empêtrée dans des histoires de financements d’assistants parlementaires ? Et de l’extrême-gauche, qui dans sa démarche révolutionnaire, et après avoir « bordélisé » le Parlement, entend aujourd’hui installer le chaos dans le pays, et pour commencer en exigeant la destitution du président de la République, au risque de provoquer un coup d’Etat institutionnel ?

Que dire enfin des socialistes, dont le premier d’entre eux, Olivier Faure, est totalement vassalisé, soumis aux insoumis ? Lui et son état-major me font penser aux bourgeois de Calais qui, la corde autour du cou, ont fait acte d’allégeance au roi d’Angleterre Edouard III en 1347, le monarque étant ici Jean-Luc Mélenchon. Où est passé le grand parti de gouvernement qui a donné deux présidents de la République à la France ?  Parlons justement de l’un d’entre eux, François Hollande, dont on aurait pu attendre un peu plus de lucidité, d’honnêteté et surtout de responsabilité après avoir exercé les plus hautes fonctions dans notre pays. Comment imaginer qu’il ait pu s’acoquiner avec un ancien Trotskyste sauf à reconnaître qu’il doit son élection, à Tulle, aux voix mélenchonistes à l’image de nombreux rescapés socialistes de la dernière élection législative. Les socialistes, au cours de l’histoire, ont toujours eu l’art de tisser le nœud coulant qui allait les étrangler, Lénine ne disait pas autre chose : « Nous soutiendrons les socialistes, comme la corde soutient le pendu », quand d’autres préféraient la formule plus fleurie de « plumer la volaille socialiste ».

Pour autant on s’interrogera longtemps sur les raisons qui ont empêché le Premier ministre (démissionnaire) Michel Barrnier d’accepter la condition qu’exigeait Marine Le Pen concernant l’indexation des retraites, qui lui aurait permis de sauver sa tête et à cette dernière de sortir par le haut de sa partie de bras de fer avec Matignon. A-t-il cédé aux injonctions d’un certain Gabriel Attal pour qui seul importe la prochaine présidentielle de 2027, ou aux instructions d’un Emmanuel Macron qui porte la responsabilité de ce qui se passe aujourd’hui après sa dissolution rocambolesque de l’Assemblée Nationale, et qui tel Néron assiste, impuissant, à l’incendie de Rome. Quant à la seconde était-elle allée trop loin pour envisager de reculer ? A moins que dans les deux cas, l’Ego ne l’ait emporté sur la raison.

Et dans tout cela, me direz-vous, que fait-on de la France, car en vérité c’est la seule question qui vaille.  Bien peu de cas, je le crains, tant les ambitions personnelles d’un Vauquiez, d’un Philippe, d’un Attal, ou d’un Darmanin  sont dévorantes et tellement leur appétit du pouvoir est grand. En portant la constitution de la Vème République sur les fonts baptismaux le général de Gaulle avait voulu mettre fin à l’impuissance du régime parlementaire incapable de gérer le problème de la décolonisation. Malheureusement on assiste actuellement à la résurgence de ces mêmes partis politiques, dont les dirigeants, qui sont les frères jumeaux de ceux de la IVème République, sont beaucoup plus soucieux de leur propre avenir que celui du pays.

Voilà pourquoi la journée du 4 décembre 2024, restera dans l’histoire comme une journée des dupes.

Jean-Yves Duval, journaliste écrivain