Cet anneau d’améthyste représente la bague que porte traditionnellement tout évêque, or mon personnage fut aussi cardinal. Et si son histoire m’a captivé au point d’écrire à son propos une biographie romancée c’est que cet ecclésiastique n’était pas un clerc ordinaire. Dès sa nomination, très jeune, dans le diocèse du Mans, il avait découvert à sa grande stupéfaction que l’évêché était propriétaire de plusieurs maisons « closes », disséminées autour de la cathédrale, et que l’évêque en percevait les loyers.
Sans être unique, car la même situation existait ailleurs dans quelques autres villes du pays, elle n’en était pas moins cocasse et notre personnage, Monseigneur Grente, tenta de se sortir au plus vite de cet imbroglio juridico-céleste. Il tenta ainsi d’expulser les péripatéticiennes qui officiaient dans ces logements, que signalait une petite lanterne rouge, mais nous étions au lendemain de la première guerre mondiale et un moratoire interdisait de virer les locataires des logements qu’ils occupaient. Les voix, et les voies, du Seigneur sont décidemment impénétrables.
Cet épisode ubuesque, cornélien, donna lieu à un fameux procès, qui fit rire la France entière, car l’avocat de ces dames de petite vertu, Maître Maurice Garçon, était un célèbre ténor du barreau parisien, dont la plaidoirie fait aujourd’hui encore les délices des étudiants en droit. De son côté le journal L’œuvre donna toute la publicité voulue aux débats de ces ébats et l’éminence en fut toute courroucée. Elle le fût d’autant plus que l’opinion publique découvrit que depuis le petit séminaire Mgr. Grente était surnommé « Pète en soie » en raison du luxe de ses sous-vêtements et de son comportement un peu maniéré.
Ce roman fût pour moi une délectation car il était très jouissif d’écrire un tel récit et de rire un peu aux dépens de la soutane. Il me donna aussi l’occasion d’apprendre que la célèbre Marthe Richard, qui fit fermer les bordels à Paris, celle qu’on surnommait pour cette raison « La veuve qui clôt » avait épousé un mandataire aux halles, sarthois, et qu’elle demeura dans son château à quelques lieues du Mans, château que j’eus l’occasion de visiter. Je profitai de cette information pour organiser dans le roman une rencontre imaginaire à la résidence d’été de l’évêque du Mans entre Monseigneur Grente et cette ancienne prostituée … ce qui ne manquait pas de sel. Lors du décès de notre cardinal, pratiquement toute la population du Mans assista à ses obsèques, comme quoi elle n’était pas rancunière d’avoir été sevrée de maisons closes.