Les historiens, ou plutôt les démographes français se souviendront que tout a commencé en mai 2025. C’est à ce moment là, en effet, que pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale notre pays a connu plus de décès que de naissances. Il ne s’agit pas là spécifiquement d’un problème français, il est global, le monde vieillit au point que la population mondiale commencera à décroître vers 2045. Mais à l’échelle d’un pays, la baisse du taux de fécondité peut signifier son déclin.
Jusqu’alors la France pouvait s’enorgueillir de maintenir le renouvellement des générations, désormais la femme française a 1, 6 enfant en moyenne alors que le maintien de l’équilibre est à 2,1. Les chiffres, contrairement aux hommes politiques, ne mentent pas. Il a plusieurs explications à cela : l’incertitude et la crainte de l’avenir pour les prochaines générations, la paupérisation d’une partie de la population qui ne peut envisager de donner le jour à des enfants promis à la précarité, les conflits internationaux et le risque réel de guerre en Europe alors que le continent vivait en paix depuis quatre-vingts ans, pour ne citer que cela. Quelle femme pourrait envisager sereinement donner le jour à de la future chaire à canon, comme cela a été le cas dans les années précédant 1914-1918, ou 39-45 ?
Malheureusement ce vieillissement accéléré d’une partie de la population a un coût économique car il fait exploser les dépenses de santé nécessaires à soigner des gens plus âgés, donc plus vulnérables. Ce non renouvellement de la population a également une incidence directe sur le maintien des retraites. Notre système social a été conçu à une époque où il y avait 5 actifs pour un retraité. On est actuellement à trente millions de cotisants pour 17 millions de retraités, là aussi les chiffres parlent d’eux-mêmes. Cette situation conduira inévitablement à un échec du mécanisme actuel, quel que soit l’allongement de la durée du travail. La France est ainsi confrontée à un cruel dilemme, ou elle reste sur ce statu quo, ou elle devra se résoudre, contrainte et forcée, à accepter l’entrée de migrants sur son territoire, comme l’a fait l’Allemagne (un million) en 2015, l’Italie récemment ou encore le Japon qui avant cela avait tout tenté, allant jusqu’à réduire le niveau des retraites et endettant massivement le pays. Notre modèle social a été conçu pour une population en croissance, il va donc nous falloir revoir tous nos paramètres devenus obsolètes par ce choc de la dénatalité.
On observe déjà les conséquences de celui-ci, avec la difficulté pour certains métiers en souffrance à recruter du personnel, contraints, comme dans le bâtiment, chez les restaurateurs et les viticulteurs, à accueillir une main-d’œuvre étrangère, même dépourvue de papiers, quitte à régulariser ensuite leur situation. La puissance économique d’une nation est étroitement liée à sa croissance démographique car sa production en dépend, or la production française est déjà inférieure à celle des ses plus proches voisins. Les économistes savent bien qu’un certain seuil de développement est indispensable pour amorcer un véritable décollage économique, à défaut c’est un PIB en berne et la stagnation. A terme c’est toute la question de notre niveau de vie qui est posée. Enfin, l’élévation des tranches d’âge d’une population va à l’encontre de l’innovation, ce qui n’est pas le moins inquiétant car un monde dominé par les séniors est un monde plus prudent, à l’exemple du Japon qui est le premier des pays industrialisés à avoir glissé vers le vieillissement et qui de ce fait n’est plus la nation riche qui innovait et menaçait la domination économique des Etats-Unis.
Ce changement des comportements constituera un défi immense à relever au cours des prochaines années, car sans un retour de la jeunesse notre pays sera confronté à un très grand péril, celui de son effacement. Il est loin le temps où, en 1820 la France était le pays le plus peuplé d’Europe, donc puissant, avec 31 millions d’habitants contre 24 à l’Allemagne.
Le mois de mai 2025 n’aura pas seulement été le mois le plus chaud de l’histoire récente, il aura été aussi celui qui aura fait sonner le tocsin sur une crise démographique inquiétante, nouveau « mal français », comme l’aurait écrit Alain Peyrefitte, celui-là même qui avait publié de façon prémonitoire, en 1973, « Quand la Chine s’éveillera … le monde tremblera ».
Jean-Yves Duval, journaliste romancier