Pour illustrer cet article je n’ai pas trouvé de plus beau titre que cet extrait du poème de Maurice Carême. Je l’ai choisi pour exprimer toute mon émotion à propos d’une mère que je n’ai malheureusement jamais connue et dont j’ai retrouvé l’existence il y a quelques mois seulement, alors qu’elle repose  désormais dans sa dernière demeure, dans le petit cimetière d’un village de province.

Dans mon livre, écrit voici quatorze ans, « Le guetteur d’aurore », à la fois autobiographie romancée et balade littéraire et philosophique j’ai raconté comment alors que j’étais un enfant j’avais été élevé par la deuxième épouse de mon père, devenue ma belle-mère. J’ai dit combien mes relations avec elle étaient difficiles, tumultueuses, dans le cadre de cette famille recomposée, au point que je l’avais surnommée « Folcoche » en référence au personnage d’Hervé Bazin dans son livre « Vipère au poing ». A l’âge d’une douzaine d’années j’avais découvert ce Livre de Poche et dans mon imaginaire d’enfant je m’étais identifié à Brasse-Bouillon, un garçon « persécuté » par sa belle-mère  dans le roman et deuxième fils d’une fratrie. Comme lui j’ai eu à subir les foudres d’une belle-mère autoritaire et comme lui je me suis révolté contre ses injustices. Heureusement la tendresse de ma grand-mère a suppléé en partie durant quelques années la carence affective dont j’ai beaucoup souffert.

Mon père, au moment de son divorce avait obtenu du tribunal de nous élever mon frère et moi, sans garde partagée avec son épouse, ce qui explique que je n’ai jamais connu ni rencontré ma mère. Le sujet était tabou et je ne l’ai pas interrogé sur les raisons de leur séparation. De son côté il ne m’a jamais rien dit, ce qui fait qu’il a toujours ignoré à quel point j’avais souffert de cette absence d’amour maternel. En outre je ne savais rien de celle qui m’avait mis au monde, ce qu’elle devenait, où elle demeurait, si elle s’était remariée et avait eu d’autres enfants avec son nouveau conjoint, le noir complet, le vide sidéral. Durant des décennies je n’ai rien su, un véritable secret de famille !

Ce n’est qu’il y a quelques mois que j’ai entrepris des recherches décidant que je ne pouvais vivre plus longtemps dans cette ignorance. Avec pour seul indice son nom de jeune fille qui figurait sur mon livret de famille, j’ai alors fait le tour de plusieurs mairies, d’un département à l’autre, puis de différents cimetières, ayant appris qu’elle était décédée depuis plusieurs années. Dans l’intervalle, en rencontrant ses parents par chance encore vivants j’ai pu reconstituer quelques fragments de sa vie, qu’elle avait refaite en Afrique après son divorce avec mon père. Précisément au Gabon, avec un ingénieur forestier, avec qui elle avait eu un fils, mon demi-frère donc.  Souffrante elle avait été rapatriée sur un vol sanitaire au Mans, dans cet hôpital où elle m’avait mis au monde et était décédée peu après. Elle était seulement âgée de 56 ans.  Quant à mon demi-frère, officier, il était mort depuis quelques années. Ayant appris mon existence il avait cherché à me retrouver, mais en vain, alors que par le plus grand des hasards il se trouvait en garnison à proximité de chez moi. Nous vivions à quelques centaines de mètres l’un de l’autre sans le savoir. La vie nous réserve parfois de sacrés pieds-de-nez. C’est ainsi qu’un beau jour j’ai pu me recueillir sur une dalle funéraire dans le cimetière d’un petit village. Il y avait une légère bruine et les gouttelettes de pluie se confondaient avec mes larmes. J’ai alors pu faire mon deuil avec le regret de ne pas les avoir connus l’un et l’autre, avec beaucoup de chagrin aussi, mais avec la satisfaction d’avoir reconstitué un pan de mon histoire personnelle et d’avoir comblé une sorte de vide existentiel.

Le moment le plus émouvant que j’ai éprouvé tout long de cette quête initiatique pour retrouver ma mère s’est produit lorsqu’en parcourant des albums de famille à l’occasion d’une visite chez mes grands-parents maternels, j’ai découvert parmi des centaines de photos, un cliché de moi, en noir et blanc alors que je devais avoir sept ou huit ans. Comment, et pourquoi, se l’était-elle procuré, mystère. Je me suis fait la réflexion qu’elle pensait peut-être encore à moi des années après. La présence de cette photo loin de m’apaiser m’a beaucoup perturbé et en examinant une photo d’elle  à cheval j’ai découvert que j’avais hérité de son regard ce qui m’a profondément troublé.

Le destin veut que de cette saga familiale je sois le seul survivant, mon père, mon frère et ma « belle-mère », Folcoche, sont morts eux aussi. Seul le Brasse-Bouillon que je suis a survécu, ce qui me permet d’ecrire, quatorze ans après, le dernier chapitre de mon livre « Le guetteur d’aurore » et d’envoyer  un clin d’œil posthume à cette mère inconnue qui m’a tellement manqué et qui m’a laissé pour seul souvenir une pierre tombale en granit.

«   … il y a plus de merles rieurs pour ma mère, en mon cœur, que dans le monde entier. Et bien plus de baisers pour ma mère, en mon cœur, qu’on pourrait donner ».