- Il est des rencontres dans la vie, pour aussi brèves soient-elles, qui vous marquent durablement tant elles sont chargées de plaisirs et d’émotions. La rencontre que j’ai faite avec Claude est de celles-la. Et aujourd’hui alors qu’il est disparu je mesure la chance de l’avoir connu.
J’ai fait sa connaissance au cours de vacances en Provence, dans l’un des plus jolis villages de France, où il tenait depuis toujours un commerce à l’enseigne « Les Grands Magasins » qui tenait lieu à la fois de bazar, de mercerie, de boutique de vêtements, de souvenirs, de cadeaux .. une vrai caverne d’Ali Baba, qu’il avait hérité de son père Edmond..
Il était loin de l’image d’Epinal du commerçant âpre au gain, le nez vissé sur le tiroir caisse et les oreilles et les yeux fermés sur le reste de l’univers. Claude était le contraire de cela, cultivé, curieux de tout, doté d’un grand sens de l’écoute, généreux, bienveillant. En somme un humaniste, au sens le plus complet du terme.
Dans son village qui sent bon la lavande, Claude était un homme au cœur d’or, dont le magasin était une véritable mine de diamants. On y trouvait de tout, de l’article à deux euros au complet veston à 220, et que vous soyez riche ou pauvre il vous réservait le même accueil car chez lui le client était roi.
Et puis un soir de mai la pépite s’est éteinte et Claude s’en est allé vers d’autres cieux. Ainsi Dieu le fit. Il est mort, chez lui, brutalement, à son bureau sans doute en calculant la recette de la journée. Rupture d’anévrisme cérébral, un verdict sans appel. Il avait 72 ans et il m’avait dit un jour « qu’il voulait mourir dans son magasin », tel Molière sur la scène d’un théâtre. Son vœu a été exaucé. Trop tôt malheureusement, et de façon inattendue.
On l’a retrouvé gisant inerte, baignant dans son sang, le lendemain au cours de la journée, les clients s’étonnant de voir les stores du magasin toujours baissés. Une mort solitaire pour un homme qui vivait seul, mais ne dit-on pas qu’on meurt toujours seul.
Le village entier l’a pleuré, le temple protestant débordait de monde, une foule d’habitants a traversé la rue principale et s’est arrêtée devant son magasin en signe d’hommage, après avoir déposé d’innombrables gerbes de fleurs.
Un humaniste s’en est allé nous privant de la richesse de sa présence lumineuse, un homme simple, bon « comme le bon pain », un de ces personnages à la faconde méridionale, si chère à Giono. Je gage que la lavande sera un peu moins fleurie cette année en signe de deuil.
Quant à moi je suis allé me recueillir sur sa tombe et lui dire adieu, sous un ciel d’azur, au cimetière où il repose désormais pour l’éternité. Un petit cimetière provençal, comme on les aime, rocailleux et planté d’ifs, situé à quelques centaines de mètres de ses « Grands Magasins ». Durant tout l’hiver nous avions échangé des nouvelles avant qu’au cours du printemps sa voix se mure dans le silence, lui qui avait la faconde méridionale chère à Giono.
Il me manquera comme quelqu’un que j’aurais connu depuis longtemps, car le temps ne fait rien à la richesse d’une relation, alors Claude, là où tu es, autorise-moi à te dire : – Adieu, l’ami !
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