Au cours de mes études de droit j’ai suivi un cours de sociologie, une matière de science sociale qui me séduisait beaucoup, mais j’étais loin d’imaginer qu’un sociologue puisse un jour proposer un abonnement à un site de rencontre grâce à une aide de la CAF pour … relancer la natalité en France ! En choisissant de devenir journaliste romancier et non sociologue, je réalise aujourd’hui à quel point j’ai échappé au ridicule d’enfanter une idée aussi fantasque. 

Car c’est bien l’initiative qui a été proposée dans le très sérieux hebdomadaire l’Express par l’éminent chercheur Julien Damon, à savoir « un grand service public en remplacement des sites Internet bien connus Meetic, Tinder et consorts ». Et pour augmenter le nombre de rencontres,  dans un but d’insémination et de procréation, notre homme suggère que la CAF délivre des « chèques ou des bons permettant d’avoir accès à ces outils numériques ». Il va même plus loin en proposant pour les adeptes de la drague à l’ancienne « que les pouvoirs publics soutiennent les bars, restaurants et salles de sport qui organisent des moments de rencontre ». L’essayiste part d’un constat alarmant : Avec 1, 68 enfant par femme en 2023 (je suppose que le 1 correspond à enfant complet, mais pour le 68, je m’interroge, il est vrai que j’étais meilleur en sociologie qu’en arithmétique)  l’indicateur de fécondité n’a jamais été aussi bas depuis 1945, à l’exception des années 1993 et 1994 qui ont été des bons millésimes pour les géniteurs.  Pire, pour les six premiers mois de cette année on a enregistré en France un recul de la natalité de 2,4 %, ce qui a incité Emmanuel Macron à appeler à un « réarmement démographique ».

Qui dit réarmement dit arsenal, donc  nouvelles armes, d’où la proposition de Julien Damon, vous me suivez ? Il aurait pu tout aussi bien déconseiller l’emploi des préservatifs qui constituent un obstacle sérieux pour des spermatozoïdes dans leur course d’endurance pour féconder l’ovule. De même que le port de masques médicaux, qui protège de la propagation des virus, ne favorisent pas les baisers amoureux. Mais SIDA et maladies vénériennes obligent, cette proposition concernant « les capotes anglaises » a été jugée irrecevable. Remarquez, Emmanuel Macron, en personne, a bien suggéré un « check-up de fertilité », à cette exception près que si son résultat est négatif cela ne résout pas le problème, ça ne fait pas avancer le schmilblick d’un iota. Mais il est vrai qu’il n’est pas sociologue, seulement président de la République. A chacun ses compétences, et de passer plus de cinquante jours à la recherche d’un nouveau Premier ministre l’a déjà suffisamment préoccupé. Cinquante jours quand même !

En revanche je me demande si notre chercheur ne ferait pas pousser des substances illicites dans son jardin ? Certes, son intention est des plus louables, mais si ce spécialiste des questions familiales  estime qu’avec son idée on va retrouver les 800 000 naissances annuelles nécessaires à l’équilibre des courbes de naissance en France je le trouve très optimiste. On fait peut-être moins d’enfants tout simplement parce que les couples, à la base de la fécondité, se forment plus difficilement et parce qu’ils se séparent plus aisément et rapidement. Le vrai problème est plutôt là. Et face à cela, que propose-t-il, interdire les divorces ?

Et je ne parle pas du coût d’une telle mesure pour le budget de la sécurité sociale, avec  3 160 milliards de dette, la France n’est plus à cela près.

Dans les années 1940, les allemands avaient eu une autre idée pour accroître la population d’un Reich prévu durer mille ans, créer des Lebensborn, des maternités,  où les pères étaient des SS et les futures mères des femmes volontaires, dans le dessein de concevoir, hors mariage, des enfants d’une race supérieure. Le résultat n’a pas été à la hauteur des espérances des dirigeants du régime, seulement 22 000 enfants sont nés de ce programme, entre 1935 et 1945, soit une goutte d’eau dans l’océan de la natalité allemande.

Ce qui est rassurant, c’est qu’en France, si on n’a pas de pétrole du moins a-t-on des idées !