Quant en 1450, Johannes Gensfleich, plus connu sous le nom de Gutenberg, inventa l’imprimerie à caractères métalliques mobiles dans son atelier de Mayence en Allemagne, il était loin d’imaginer l’essor que connaîtrait six siècles plus tard le livre et le journal dans le monde entier. Jusque-là, le savoir se propageait à l’aide de tablettes d’argile pour les Assyriens, les rouleaux de papyrus pour les égyptiens, les manuscrits pour les romains et les livres en bois et en soie pour les chinois  pour un nombre limité de privilégiés. Tout allait changer désormais. Danke herr Gutenberg !

Grâce à lui en effet les idées, le savoir, les connaissances et l’information, synonymes de liberté d’expression, se sont propagées à la vitesse de la lumière sur la planète entière. On ne lui dira jamais assez notre reconnaissance. Et les oiseaux de mauvaises augure qui prédisaient que l’arrivée de la radio, puis de la télévision, d’Internet et du numérique allait tuer le papier se sont lourdement trompés.  J’en prendrai pour exemple le journal le Parisien qui fête aujourd’hui ses 80 ans et il nous faut saluer l’excellente santé de cet octogénaire parti pour faire un beau centenaire.

C’est à la Libération que ses pères fondateurs, les résistants Emilien Amaury et Claude Bellanger, ont porté sur les fonts baptismaux  ce journal alors vendu 2 francs, qui, faute de papier, ne comptait que deux pages. Une presse neuve dans une France libre. 80 ans plus tard le journal peut s’enorgueillir de nombreuses innovations : lancement d’éditions locales, passage à la couleur, création d’Aujourd’hui en France, puis d’une édition du dimanche, d’un site Internet, d’une appli pour les smartphones, d’un magazine hebdomadaire Parisien week-end, de hors-séries, etc. Qui a dit que la presse était moribonde ? Le vocabulaire employé a un peu changé depuis 1944, on ne dit plus fausse nouvelle mais fake-news, les réseaux sociaux, Facebook, Instagram, Twitter, etc.  ont envahi nos vies, ou plutôt celles des gens qui s’y répandent sans pudeur, et le complotisme prospère dans une situation politique et géopolitique plus sombre que jamais. D’où l’importance d’une presse indépendante, exigeante, et la nécessité d’informations vérifiées au risque de connaître un jour l’univers dépeint par Aldous Huxley  dans « Le Meilleur des mondes » ou celui de George Orwell dans « 1984 »

Pour ma part j’ai découvert la presse, et le livre, très tôt, lisant fidèlement le Monde à la bibliothèque de la fac de droit et de lecteur addictif je suis devenu acteur lorsque j’ai été élu, sans avoir été candidat, rédacteur en chef du journal de l’université Le Mans étudiant, après avoir été celui de la MJC (Maison des Jeunes et de la Culture)   : »Le Pressoir », j’avais dix-sept ans, une vocation était née. Tout s’est ensuite précipité, stagiaire à RTL et à Ouest-France, puis responsable de l’information d’une radio partenaire du premier quotidien régional de France avant de devenir le premier journal de l’Hexagone. J’ai encore en mémoire les enseignements que m’ont légué Jean Cochet et Gilbert Grassin de Ouest-France, un journal où on ne plaisantait pas avec la syntaxe,  Francis Huger de France Soir,  chez qui écrire un article relevait autant du récit que de la poésie, ou encore Alain Hamon, grand reporter et spécialiste des affaires criminelles et judiciaires à RTL dont la phrase fétiche en arrivant sur les lieux pour couvrir les faits divers. Mesrine, Emile Louis ou Michel Fourniret était  : « Bonjour, on vient pour l’affaire ». Les uns et les autres ont marqué de leur empreinte le journaliste que je suis, et leur héritage est plus précieux à mes yeux que n’importe quelle succession familiale.

Comment aurais-je pu ne pas aimer passionnément le journalisme avec ces phares de la profession qui m’ont transmis la foi du charbonnier pour ce métier. On entre en journalisme comme on rentre  dans les ordres, pas pour faire fortune mais par attachement à certaines valeurs. Aujourd’hui encore, ce métier reste pour moi le plus beau de tous.  Je lui dois d’avoir parcouru le monde à l’occasion de reportages partout en Europe, mais aussi en Russie, au Cambodge, au Vietnam, en Afrique du sud,  à Cuba, au Vietnam, au Mali, en Algérie, au Népal,  d’avoir accompagné des unités françaises, en particulier le 2ème Rima, en Arabie saoudite lors de la première guerre du Golfe, en Somalie, au Tchad, en Côte d’Ivoire, en Bosnie, au Kosovo, en Albanie, etc. d’avoir fait de formidables rencontres, vécu des aventures incroyables et des moments inoubliables. Je lui dois également d’avoir enseigné la communication à l’université, y compris en Corée, non loin de Séoul, au cours d’un stage en langue française lors d’une université d’été où j’ai eu la fierté d’apprendre les rudiments du journalisme à de jeunes coréens très fiers de publier leur journal dans la langue de Molière. Avoir contribué au rayonnement de la langue française dans ce grand pays d’Asie restera pour moi un de mes meilleurs souvenirs humain et professionnel. Je dois enfin à ce métier de m’avoir depuis les années 2000 tendu la plume pour écrire une vingtaine de fictions, romans historiques, thrillers, ouvrages de géopolitique et autres biographies. En fait de plume je devrais plutôt parler du clavier de mon ordinateur,  on ne dit plus en effet manuscrit mais tapuscrit. En réalité, je dois à ce métier d’exister et d’avoir réalisé mes rêves les plus fous, d’avoir été, comme l’écrivait le colonel Lawrence, (d’Arabie)  dans les « 7 piliers de la sagesse »,  un « rêveur éveillé ».

Alors oui, un grand merci à Gutenberg qui a permis de faire prospérer la liberté d’expression partout dans le monde, même dans les pays totalitaires, au sein de régimes dictatoriaux. Merci à tous ces confrères journalistes tués sur les différents théâtres d’opération militaire afin que celle-ci ne meure jamais. Cette liberté fondamentale, sans laquelle il n’existe pas de démocratie, est aujourd’hui plus que jamais menacée par des censeurs, de plus en plus nombreux et déterminés, elle est mise en danger par les institutions ou des autorités, piétinée par les défenseurs d’idéologies extrémistes. Plus que jamais il nous faut être vigilants car un Etat sans contre-pouvoir, politique, syndical ou médiatique, bascule rapidement dans la tyrannie. Alors, continuez à lire la presse et à la faire lire autour de vous, vous êtes les garants de son existence et de sa survie. Et par voie de conséquence, les défenseurs de la liberté d’expression.

Bon anniversaire au Parisien, symbole de la liberté de la presse. Et pour paraphraser Richard Bohringer auteur du très beau roman « C’est beau une ville la nuit », j’ai envie de dire : C’est beau un journal qui souffle ses 80 bougies ! 

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