La semaine qui vient de s’écouler à connu deux célébrations, la première religieuse avec « la Toussaint » au cours de laquelle les catholiques honorent leurs saints le 1er novembre avant, le lendemain, de rendre hommage à leurs défunts, et la seconde, une fête païenne venue d’Amérique à la fin des années 1990. Si les français sont beaucoup moins nombreux aujourd’hui à respecter le rituel institutionnalisé en Occident au VIIIème siècle par le pape, ils sont en revanche, 6 sur 10 à célébrer une fête folklorique autour de déguisements terrifiants, de citrouilles lumineuses et de tonnes de bonbons ! Les temps ont changé, doit-on le regretter ou s’en réjouir, that is the question ! 

Il en va aujourd’hui des cimetières comme des églises, ils sont de plus en plus désertés, la fréquentation des lieux de mémoire a baissé de 12% en quinze ans.  Selon une étude réalisée par le Credoc 34% des français se rendent une fois par an  dans un cimetière contre  46% en 2009. La meilleure preuve sont ces tombes oubliées, tombées à l’abandon, quand, hélas, elles ne sont pas profanées, vandalisées, chrétiennes, juives, ou musulmanes, par des sectes barbares qui ne respectent ni Dieu, ni maître. Le fait qu’en dehors du jour de la Toussaint il y ait plus de touristes dans les cimetières que de familles de défunts illustre bien cette disgrâce dans laquelle ils sont tombés et on doit se réjouir que les membres d’une association comme chrysanthème prennent soin, au nom d’une démarche spirituelle, de tombes d’inconnus, qu’ils lavent, désherbent car dans la tradition catholique les défunts ont besoin de nos prières, en particulier les âmes du purgatoire qui attendent  de rejoindre le ciel, les âmes déjà au paradis intercédant pour nous, vivants. Pour les croyants en effet la vie ne s’arrête pas à la pierre tombale, nous sommes tous appelés à vivre dans l’éternité. Heureusement qu’il existe aussi des jours réservés dans le calendrier pour sortir les morts de leur solitude éternelle en invitant les vivants à aller se recueillir sur leurs tombes. Mais ce rituel, comme tant d’autres choses, tend à disparaître au fil du temps, les fleuristes, dont le chiffre d’affaires est en baisse chaque année, vous le confirmeront. On dirait que les gens refusent désormais le face-à-face avec la « Grande faucheuse ».  Et pourtant rendre visite aux morts n’est pas mortel et la mort n’est pas contagieuse. Il faut y voir là un signe des temps ou l’individualisme et l’égoïsme sont rois. Les membres disparus de nos familles doivent se sentir bien seuls, et pourtant en mourant ils ont cherché à nous rendre un dernier service.

Vous n’êtes pas sans avoir remarqué qu’à la suite d’obsèques à l’église, la sortie du cimetière s’accompagne généralement d’un traditionnel apéritif organisé par la famille du, ou de la défunte, dans un des bistrots du bourg. Ce geste va bien au-delà d’une démarche de courtoisie, il répond à une utilité sociale. Voyez comme après un verre de Martini ou de Porto, après quelques pensées attristées, on en vient rapidement à échanger des nouvelles sur la tante Gisèle et le cousin Paul dont on n’a pas de nouvelles, sur la scolarité du petit dernier et les affaires de l’oncle Denis. Et aux larmes devant le cercueil, succèdent bientôt les sourires et les plaisanteries. La vie reprend le dessus car les enterrements sont une des rares occasions pour les gens, que la vie professionnelle a éloigné, de se retrouver entre eux. C’est surtout pour nous une façon d’exorciser la mort, et j’ai toujours pensé que c’était là un dernier service que les morts rendaient aux vivants en favorisant ces retrouvailles, au-dessus de leur pierre tombale. Le philosophe Auguste Comte, secrétaire de Saint-Simon, estimait d’ailleurs que les morts ne sont pas morts puisque nous vivons et qu’ils sont ce qu’il y a de plus vivant en nous.

J’en veux pour preuve un nouveau concept importé de Suisse par l’association Happy End qui propose « les apéros de la mort ». Des gens, qui parfois ne se connaissent pas se retrouvent ainsi au café autour d’une bière ou d’une tasse de thé pour échanger, dans la convivialité, sur le deuil, ou leur rapport à la mort. En Suisse cette façon de faire existe depuis une vingtaine d’année, autour des « Cafés mortels ». Aujourd’hui en France, il y a quarante-huit villes où existent ces apéros de la mort, où chacun parle de celle-ci sans tabou, de façon décontractée. L’idée, c’est de « trinquer à la vie ». Nous passons une bonne partie de notre vie à redouter de mourir et cette seule idée nous gâche une partie de l’existence, or la mort est inscrite sur notre bulletin de naissance. Dès le premier jour nous sommes appelés à disparaître, les seules questions qui vaillent c’est « quand » et « comment ». C’est notre sort commun, à tous, humains, animaux, végétaux, etc. et plutôt que de s’en inquiéter, ne vaut-il pas mieux se faire à l’idée, et tenter d’apprivoiser la mort. Chercher à la fuir revient à jouer avec elle au jeu du chat et de la souris, et on connaît tous la fin, le chat mange la souris.  C’est l’objectif des philosophies et des religions qui nous laissent espérer, à défaut de croire, qu’il existe un « après », un « au-delà », sous forme de résurrection si on est chrétien, ou de réincarnation si on est bouddhiste.  Apprivoiser la mort, c’est aussi apaiser notre vie et mieux accepter le deuil de nos proches, car face à elle nous sommes tous vulnérables.

Observez, comment nos comportements ont changé au cours des dernières décennies face au rituel de la mort, ainsi aux enterrements d’hier où chacun était habillé de noir », ont succédé des marches blanches et au silence des personnes présentes au passage du cercueil répond aujourd’hui des applaudissements de l’assistance. La mort n’est pas pour autant « désacralisée », on l’a seulement rendue plus humaine. Les Mexicains n’agissent pas autrement, et bien d’autres, où les festivités du Dia de los muertos, sont l’occasion de manifestions de joie de vivre. Si la  Fête des morts vient de la culture celte et a pris de l’ampleur aux Etats-Unis, à la suite de l’immigration massive des Irlandais, au XIXème siècle, c’est aussi d’Amérique que nous vient l’esprit d’Halloween  héritier de la fête religieuse d’une autre divinité celte, Samain, associée à la mort où le jour d’Halloween était un passage entre le monde des vivants et celui des morts. C’était pour les celtes le moment de se connecter avec les âmes de leurs ancêtres partis avant et le 31 octobre ils allumaient des feux de joie. Ce n’est que plus tard, avec l’arrivée du christianisme en Europe, que l’église à instauré la Toussaint.  Malheureusement aujourd’hui la journée d’Halloween est devenue une célébration de l’horreur, associée au macabre et au surnaturel sur fond de citrouilles et de crânes plus horribles les uns que les autres. Les temps changent, mais ne dit-on pas « tout passe, tout lasse ».

Au cours de notre existence la vie triomphe toujours de la mort, elle ne perd qu’un seul combat, celui du jour de notre décès. Il y a à ce sujet une phrase admirable d’Albert Camus : « Au milieu de l’hiver, j’ai découvert en moi un invincible été ».

Jean-Yves Duval, journaliste écrivain

 

P.S : En tant que romancier je ne saurais refermer cette chronique sans exprimer mon indignation devant la  décision de  la régie publicitaire de la SNCF, sous la pression du syndicat CGT des cheminots, d’interdire la présentation dans les halls de gare du livre « Ce que je cherche » que vient de publier Jordan Bardella, le président du Rassemblement national, au moment où celui-ci est numéro 1 des ventes sur Amazon. Il ne s’agit pas ici d’afficher un quelconque soutient au leader de l’extrême droite française, mais d’élever une protestation au nom de la liberté d’expression, aujourd’hui bafouée, comme l’aurait fait Voltaire, au nom de la tolérance, avec cette phrase célèbre : « Même si je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, je me battrai pour que vous puissiez le dire ». Que la compagnie de transport ferroviaire cède au diktat syndical est proprement ahurissant et scandaleux ! Est-ce désormais aux cégétistes de dire quels sont les auteurs qui  ont droit de cité dans les lieux publics, sommes nous encore en démocratie ou vivons nous déjà dans une démocratie populaire  ? Appartient-t-il à madame Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, au nom de quelle légitimité, de dire le droit et  de ressusciter le délit d’opinion ? Cette discrimination et cette pression politico-syndicale  sont inadmissibles et inacceptables. Elles ne sont possibles qu’en raison de notre lâcheté.