Le  9 décembre 1989, voici  35 ans, on célébrait la chute du mur de Berlin, dix neuf ans plus tôt, le 9 novembre 1970 disparaissait Charles de Gaulle. Entre ces deux dates un même symbole, un même acte de résistance, le premier contre l’occupant allemand nazi, et le second contre l’occupant russe. Je me souviens particulièrement bien de ces deux évènements, comme la plupart des gens de ma génération, mais plus encore, pour des raisons personnelles.

 

9 novembre 1970 : Lorsque j’ai appris la mort du général ce jour-là, j’ai été comme statufié de stupeur et de chagrin. Je ne pouvais, je ne voulais pas y croire et pourtant il fallait se rendre à l’évidence il était mort, alors qu’il allait avoir 80 ans, chez lui, dans sa propriété de Colombey-les-deux-églises, que j’ai eu le plaisir de visiter, alors qu’il était en train de faire une réussite, attablé devant son jeu de cartes. Mais dans mon for intérieur je savais que ce n’était pas une rupture d’anévrisme ordinaire qui l’avait emporté, mais bien plutôt le chagrin qu’il avait éprouvé quelques mois plus tôt, le 27 avril 1969 lorsque les français avait rejeté son referendum portant sur la création des régions et la rénovation du Sénat. Les électeurs l’ayant désavoué, le soir même de Gaulle quittait l’Elysée et avec « tante Yvonne » rejoignait sa propriété dans la Haute-Marne.  Le communiqué publié dès la connaissance des résultats avait été laconique, : « Je cesse d’exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd’hui à midi ». Quelle magistrale leçon de démocratie à l’égard d’un certain François Mitterrand qui, quelques années plus tôt, le présentait sous les traits d’un dictateur, avec son livre pamphlétaire  » Le complot permanent ». Du jour de ses obsèques je retiens deux images fortes, gravées à jamais dans ma mémoire : le dessin de Jacques Faisant, dans le journal Le Figaro, où l’on voyait Marianne sangloter devant un arbre abattu au sol, avec cette légende « les chênes qu’on abat ! » et la seconde est le cercueil du général quittant La Boisserie sur un char Panhard, recouvert d’un immense drapeau tricolore.  L’ombre de sa silhouette recouvrait l’Hexagone.

Quelques années plus tôt : J’étais alors étudiant à la faculté de droit du Mans et avec quelques camarades j’avais organisé un groupe de jeunes gaullistes afin de nous opposer à l’entrisme dans les universités des mouvements pro chinois, d’extrême-gauche et d’extrême droite.  La mode était alors  à Che Guevara,  Fidel Castro, au petit livre rouge de Mao, aux AG enfiévrées dans les amphis avec les slogans du genre  » Il est interdit d’interdire », « Sous les pavés, la plage », « L’imagination au pouvoir », « Faites l’amour, pas la guerre »,  » Ne prenez plus l’ascenseur, prenez le pouvoir », etc.  tandis que dans les cinémas on projetait « Les Bérets verts » sur la guerre du Vietnam, avec John Wayne. Entre deux cours de droit civil et constitutionnel nous collions des affiches, dessinions des croix de Lorraine sur les murs, débattions avec nos opposants, distribuions des tracts, protégions les réunions publiques de nos responsables  contre les nervis gauchistes ou fascistes, Occident, Ordre nouveau etc. l’activité habituelle des militants politiques. Mai 1968 était là, avec ses groupuscules contestataires conduits par Daniel Sauvageot de l’UNEF, Alain Krivine de la Jeunesse communiste révolutionnaire, Alain Geismar,  et un certain Cohn-Bendit , dit « Dany le rouge », leader du Mouvement du 22 Mars.  Tout était parti des universités de Nanterre et de Strasbourg, avant de s’étendre un peu partout dans le pays. A Paris, on dépavait le boulevard Saint-Michel et on élevait des barricades rue Soufflot, ou rue du Bac, avec des affrontements souvent violents avec les CRS et les gardes mobiles, tandis que des piquets de grève de syndicalistes ouvriers bivouaquaient à l’entrée des portes des usines. Survint, en réaction, la grande manifestation gaulliste le 30 mai, sur les Champs-Elysées, avec sa reproduction en province de défilés, ici même au Mans, qu’avec mes amis nous avons contribué à organiser. S’en suivirent des élections législatives qui donnèrent une très large majorité à de Gaulle, mais sa désunion avec le peuple de France était acté, ce que confirma, à peine un an plus tard, l’échec du référendum. Pour autant depuis cette époque je suis resté fidèle à mon engagement d’adolescent, confirmant ce que disait André Malraux  « tout le monde à été, est ou sera gaulliste ». Il y a d’ailleurs une certaine ironie à voir aujourd’hui, 54 ans après la mort de Gaulle, que ses adversaires politiques se réclament de lui. Dans sa tombe du cimetière de Colombey, le général doit bien rire.

9 novembre 1989 : On le sentait venir depuis depuis quelques temps déjà, le signes ne trompaient pas. Il y avait eu l’affaiblissement de l’Union soviétique, la perestroïka conduite par Mikhail Gorbatchev et les manifestations de plus en plus nombreuses des allemands de l’Est attirés par le monde libre, fascinés par les vitrines de Berlin Ouest. Résultat, au cours de la nuit du 9 au 10 novembre des jeunes Est-Berlinois s’attaquèrent à coups de pioche au « mur de la honte », qui avait été érigé en 1961. Jusque-là lézardé, le monde communiste s’écroulait et l’un des plus grands symboles de la Guerre froide venait de tomber. Autant dire que je m’en suis réjoui, comme beaucoup d’autres.

Un mois plus tard : A l’époque, j’étais rédacteur en chef de West Fm et avec un technicien de la radio nous avions atterri à Budapest en Hongrie. Mon intention était de rallier la capitale de la Roumanie, alors qu’un coup d’Etat contre le dictateur Ceausescu venait de commencer et qu’on parlait d’un charnier, qui se révélera plus tard être faux, à Timisoara.  J’avais manqué le rendez-vous avec l’histoire à Berlin, je n’allais pas manquer celui-ci. La première partie du voyage se déroula en camion dans un convoi humanitaire et la seconde en train, jusqu’à Bucarest. Sur place, la ville vivait dans un climat de guerre civile et la plus grande prudence était de mise pour nos déplacements entre les tirs de snipers et les affrontements entre bandes armées et les agents de la Securitate, la police secrète du régime. Après Berlin, la Roumanie vivait, elle aussi, les dernières heures d’un régime totalitaire et j’étais aux premières loges. Sur place, j’ai réalisé plusieurs interviews et établi un « direct » avec la radio, au Mans, depuis le seul hôtel, lieu de rendez-vous des journalistes de la presse étrangère, où les lignes téléphoniques internationales fonctionnaient. Etrange révolution en trompe-l’œil, qui fit quand même plus de mille morts et plusieurs milliers de blessés. Avec mon technicien nous avons pu nous rendre place de la Révolution, lieu des manifestations populaires anti régime, où se trouvait le bâtiment du comité central du parti communiste de Roumanie, d’où le dictateur et sa femme réussirent à s’enfuir en hélicoptère, depuis le toit, et nous avons pu rejoindre, les pieds dans la neige, l’immense palais, quasi déserté, de Ceausescu, l’un des plus grands bâtiments du monde avec le Pentagone américain. Je garde de ce moment surréaliste d’un lieu peuplé de fantômes un souvenir impérissable.  Une semaine plus tard, nous avons effectué le voyage de retour en passant par les « Portes de fer », une des gorges du Danube, puis Zagreb en Croatie, et de là un vol Air-France nous a ramené au pays. Nous étions le 24 décembre,  et je rentrais juste à temps pour passer le réveillon de Noël avec les miens. Le lendemain, je découvris à la télévision les images de l’exécution, d’une rafale de kalachnikov, de Nicolae Ceausescu et de sa femme Elena. Ainsi meurent les tyrans !

Voilà pourquoi cette date du 9 novembre a une résonnance particulière. Elle symbolise pour moi  la disparition d’un grand patriote- résistant, qui s’identifiait à la France et qui a sauvé l’honneur du pays, et la disparition d’un régime politique honni qui se prétendait une démocratie « populaire », comme si par définition une République pouvait être autre chose que l’expression du peuple, comme quoi à vouloir trop prouver, on ne prouve rien !

Jean-Yves Duval, journaliste écrivain