L’automne est une saison traditionnellement marquée par la chute des feuilles et la nomination des différents prix Nobel, à Stockholm, depuis la création en 1895 par Alfred Nobel de cette distinction décernée chaque année dans six catégories : Physique, chimie, physiologie ou médecine, littérature, paix et sciences économiques. Faut-il rappeler que le Nobel récompense des personnes pour leurs contributions exceptionnelles dans leur domaine d’études. Obtenir cette récompense prestigieuse est un véritable défi. C’est dire notre fierté de sarthois de découvrir qu’en 1909 le prix Nobel de la paix a été décerné à Paul d’Estournelles-de-Constant, ancien député puis sénateur de la Sarthe. L’occasion aujourd’hui de lui adresser un petit clin d’œil, d’outre-tombe, comme dirait Chateaubriand.
Rappelons tout d’abord que ce diplômé de l’école des Langues Orientales, qui était aussi baron de Constant de Rebecque, est né à la Flèche le 22 novembre 1852 et qu’il est mort à Paris le 15 mai 1924. Dans sa jeunesse, après avoir été un brillant élève au Lycée Louis-Le-Grand à Paris, le jeune homme obtint son baccalauréat ès lettres au lycée français d’Athènes, suivi d’une licence en droit à Paris . Il intègre alors le ministère des affaires étrangères et devient élève-consul, puis un peu plus tard secrétaire d’ambassade à Londres et en 1884 secrétaire de l’ambassade de France à La Haye. Auteur d’un ouvrage « La politique française en Tunisie » l’Académie française le récompensa par le Prix Thérouanne. L’association littérature-diplomatie a toujours été chose courante dans notre pays, je pense en particulier à Alexis Léger, ancien secrétaire général du Quai d’Orsay, avec les rangs et dignité de premier des ambassadeurs de France, plus connu sous son nom de poète de Saint-John Perse. Le futur ministre plénipotentiaire, chargé d’affaires à Londres, Paul d’Estournelles-de-Constant, s’inscrivait ainsi dans une longue lignée qui compta dans ses rangs d’illustres auteurs : Chateaubriand, Stendhal, Claudel, Morand, Giraudoux, et plus récemment Romain Gary ou encore Jean-Christophe Ruffin. A voir ces noms illustres je regrette un peu plus ma nomination manquée de consul honoraire du Mali, pour cause de rupture des relations diplomatiques entre Paris et Bamako, j’aurais alors rejoins, en toute modestie, cette cohorte de gens de plume. Tous ont largement contribué, entre belles-lettres et littérature, à la promotion et au rayonnement d’une diplomatie culturelle française à travers le monde, une belle et noble mission.
C’est en 1895 que ce père de cinq enfants décide d’entrer en politique et qu’il est candidat aux élections législatives où il est élu, député de la circonscription de Mamers, place qu’il cèdera trois ans plus tard à Joseph Caillaux un des personnages politiques les plus influents de 1912 à1944. Les français doivent à ce manceau la création de l’impôt sur le revenu alors qu’il était ministre des finances de Clémenceau, mais aussi d’avoir été un des précurseurs de la lutte contre les paradis fiscaux et chef du gouvernement. Tout le monde a encore en mémoire l’assassinat par son épouse, Henriette, de Gaston Calmette alors directeur du Figaro qu’elle jugeait responsable de la violente campagne de presse contre son mari. Paul d’Estournelles-de-Constant est ensuite élu sénateur et réélu en 1909 et 1920. Entre temps il a aussi beaucoup œuvré en faveur de l’arbitrage, du désarmement et de la paix, cherchant inlassablement le règlement pacifique des conflits internationaux par la médiation. Accessoirement, si je puis dire, il aida aussi beaucoup Léon Bollée, principal soutien de Wilbur Wright pionnier de l’aviation dans ses expérimentations aéronautiques. Le prix Nobel de la paix, qu’il reçut conjointement avec le député belge Auguste Beernaert, visait à récompenser les efforts des deux hommes dans la construction du droit international, ainsi que l’organisation des conférences de La Haye de 1899 et 1907 qui déboucha sur la création d’une cour permanente d’arbitrage, toujours très active aujourd’hui.
Paul d’Estournelles-de-Constant, était le troisième français à recevoir un prix Nobel après Frédéric Passy et Louis Renault. Fervent opposant à la politique coloniale, favorable à un rapprochement franco-allemand et ardent défenseur du modèle de la démocratie américaine dans le monde, il s’intéressait aussi aux domaines de l’art et de l’écriture et comptait parmi ses amis Ernest Renan, Paul Bourget et Paul Valéry ou encore le philosophe Henri Bergson, tout en entretenant une vive amitié avec le peintre Claude Monet. Il est mort à l’âge de 71 ans et ses cendres sont déposées dans la sépulture familiale au cimetière de Clermont-Créans, près de La Flèche.
L’attribution du prix Nobel de la Paix à un sarthois en 1909 aura été l’occasion d’un bref retour en arrière, le temps d’une chronique. Il est important d’exhumer ainsi périodiquement de notre histoire de France certains personnages qui ont marqué le département de leur empreinte. Que l’on ait ainsi honoré, voici un peu plus d’un siècle, de la plus prestigieuse des récompenses Paul d’Estournelles-de-Constant pour ses efforts en faveur de la paix, alors que le canon tonne de nouveau en Europe et au Proche-Orient, et sans doute demain dans le Pacifique, est plus que flatteur pour la mémoire collective sarthoise, dont chacun d’entre nous est un peu le dépositaire et le gardien.
Jean-Yves Duval, journaliste écrivain