Lorsque j’ai appris la tragédie du car en Eure-et-Loir qui a coûté la vie à une adolescente de 15 ans, j’ai été horrifié comme tout le monde. Puis à l’émotion a succédé un sentiment d’indignation lorsque on a découvert que le chauffeur, au moment de l’accident, avait consommé du cannabis ce qui expliquait sa mise en examen pour « homicide involontaire aggravé ». Enfin j’ai été révolté de voir que pour cette infraction le « chauffard » encourait seulement une peine maximale de sept ans de prison. Autant dire qu’il sera, le moment venu, peut-être condamné à cinq ans et qu’avec une réduction de peine (pour bonne conduite ?) il sera libre 2 ans, 3 ans plus tard. Je me suis alors souvenu de mes cours de droit pénal et de la distinction à faire entre les différents motifs d’incrimination que nous avait apprise le professeur Naud, qui en parallèle exerçait les fonctions de juge d’instruction au TGI du Mans.

Nous devions, disait-il faire le distinguo entre un « homicide involontaire », « par imprudence », un « meurtre » et un « assassinat » qui est un meurtre par préméditation, car l’importance du délit ou du crime n’est pas la même dans les différents cas, et par voie de conséquences influe sur la durée de la peine pour l’auteur des faits incriminés. Tout cela est très compréhensible. De même que les juges doivent évaluer le préjudice subi par la victime, car dans le droit français au-delà de la notion de culpabilité s’ajoute celle de responsabilité le condamné devant indemniser sa victime à raison du préjudice matériel, physique ou moral qu’elle a subi. Jusque-là, rien à dire, on a bien compris qu’il est indispensable aux magistrats de disposer d’une échelle des peines, correctionnelles et criminelles, ainsi qu’un barème d’indemnisation pour fixer les dédommagements en faveur des tiers lésés.  Je me pose cependant la question de savoir comment on peut qualifier un  homicide « d’involontaire » lorsque le coupable a « volontairement » consommé du cannabis avant de prendre le volant ?

Ainsi pour un homicide par imprudence avec circonstance aggravante le tarif est de 7 ans, (et 100 000 euros d’amende) alors que le meurtre au premier degré (qui est contrairement au cas précédent une volonté de donner la mort à autrui) est puni de 30 ans de réclusion criminelle et que le meurtre « aggravé » est puni d’une peine de réclusion criminelle à perpétuité.  Reste l’assassinat, qui est le meurtre au 2ème degré (car prémédité) pour lequel la peine est également la réclusion criminelle à perpétuité, assortie le cas échéant de peines de sureté qui empêchent le condamné de bénéficier d’une libération anticipée. Il faut savoir qu’en règle générale tout condamné qui a effectué la moitié de sa peine peut demander une libération conditionnelle, ce dont l’immense majorité d’entre eux ne se prive pas, avant éventuellement de récidiver. C’est d’ailleurs pour éviter ce genre de situation que la législation américaine cumule les peines en fonction des motifs d’inculpation ce qui conduit les tribunaux à prononcer des sentences très lourdes correspondant à un enfermement à vie. Les criminels meurent dans leur cellule, sans espoir de recouvrer la liberté un jour. Un californien de 41 ans, reconnu coupable de 186 chefs d’accusation d’agressions sexuelles à l’encontre de sa fille, a ainsi été condamné à 1 503 ans de prison, mais le record est détenu par Charles Scott Robinson, en 1994, qui a été condamné à 30 000 ans de prison  pour viols, à raison de 5 000 ans de prison pour chacune de ses six victimes. Nous n’avons pas fait ce choix, on peut le regretter, car les Etats-Unis sont aussi un Etat de droit.

Ma question est donc la suivante, quel est le prix de la mort dans notre société ? 7 ans, trente ans, perpétuité ? Si pour un condamné cela change tout, cela devrait être aussi la même chose pour la victime, le prix d’une mort « accidentelle » étant le même que pour la victime d’un meurtre ou d’un assassinat, au nom du principe qu’une mort en vaut une autre car seule la volonté (intentionnelle ou non) de l’auteur diffère, ainsi que le moyen employé (accident de car, coup de couteau, strangulation, noyade ou tir d’arme à feu). Ainsi dans le cas de la jeune fille de 15 ans le prix de sa mort est estimé à seulement 7 ans parce que son « meurtrier » n’est en réalité coupable que d’un homicide involontaire. Certains penseront que ce n’est pas cher payé pour avoir ôté la vie à une adolescente de façon prématurée. Tout est une question de sémantique, mais allez expliquer cela à la famille et aux amis de la jeune lycéenne qui ne demandait qu’à vivre. Allez leur dire que le prix de la douleur et de la séparation d’un enfant, d’un adolescent, n’est pas le même, qu’il soit victime d’un assassin ou d’un meurtrier de la route.

Par une étrange association d’idées l’idée de la mort m’a amené à penser à l’existence de l’âme qui est un sujet aussi vieux que le monde, en particulier depuis Platon. Pour beaucoup l’âme humaine serait le siège de l’activité psychique et des états de consciences intellectuelles, morales, affectives d’un individu, son moi profond, pour les religieux ce serait davantage un principe spirituel, immanent ou transcendant. Dans la bible on peut lire qu’elle est « un principe de vie, immatériel et de pensée de l’homme ». En anatomie, on la situerait au niveau du cerveau, et non du cœur, et un certain nombre de personnes s’est demandé combien elle pouvait peser. Cela a été le cas notamment d’un médecin américain du Massachusetts, le docteur Duncan Mac Dougall qui eut l’idée, entre 1901 et 1907, de peser à l’aide de balances précises à deux dixièmes d’onces, plusieurs patients décédés, à l’heure de leur mort et de les  peser à nouveau quelques minutes plus tard. Il observa alors très curieusement qu’à chaque fois les personnes avaient perdu 21 grammes et il en déduisit fort logiquement (à défaut de conclusion scientifique) qu’il s’agissait du poids de l’âme qui s’était envolée et avait quitté son enveloppe charnelle. J’ajoute que le docteur Mac Dougall a répété le même protocole sur quinze chiens – supposés ne pas être dotés d’âme – et qu’il ne constata aucune perte de poids.

Je laisse à votre sagacité du week-end ces deux sujets de réflexion, sans liens apparents, si ce n’est celui de la mort et du prix auquel on l’estime dans nos sociétés modernes. Quant à Johana, la jeune adolescente de 15 ans, scolarisée au lycée Emile Zola de Châteaudun, je lui souhaite de reposer en paix en espérant que justice sera faite car elle avait toute l’existence devant elle et il a fallu qu’un individu inconscient et irresponsable lui vole son innocence et brise ses rêves.

Jean-Yves Duval, journaliste écrivain

PS : la différence entre un homme et un barbare c’est que le premier respecte ses adversaires et ses ennemis à l’heure de la mort. La profanation de la tombe de Jean-Marie Le Pen, quoi qu’on pense de lui, est un acte profondément ignoble et fait de ses auteurs des charognards. Quand on ne respecte pas la mort, on ne se respecte pas soi-même !