On savait qu’avec Donal Trump on ne serait pas au bout de nos surprises au cours des quatre années à venir. Ce qui s’est passé cette semaine nous en donne un avant-goût. Qui aurait pu imaginer une seule seconde, voici encore quelques mois, qu’un milliardaire capitaliste, tenant du libéralisme le plus sauvage, au point d’être qualifié de libertarien, sortirait le chef du Kremlin, un ancien colonel du KGB, du coma géopolitique dans lequel il est plongé depuis bientôt quatre ans, et mettrait sur pieds avec lui un business plan à propos de l’Ukraine ? Qu’ils se partageraient, l’un le sol (la Crimée, le Donbass) et l’autre le sous-sol (les terres rares) ? Qui aurait pu penser également que l’émir d’Arabie Saoudite jouerait, grâce à ses pétrodollars, les arbitres de beauté dans un conflit européen ? A croire que le réchauffement climatique a ramolli le cerveau de certains ! Quant aux européens, chacun se demande s’ils existent encore alors que c’est leur continent et leur propre sécurité dont il est question !
Le plus grave dans tout cela c’est que les ukrainiens, les principales victimes de ce conflit meurtrier, sont, eux aussi, snobés, par l’Oncle Sam et l’Ours de Sibérie. Les uns et les autres n’ont même pas eu droit à un strapontin à Ryad, quel mépris souverain de la part de celui qui se considère déjà comme le maître du monde ! Et voilà qu’on nous ressort de la naphtaline Sergueï Lavrov, le ministre russe des affaires étrangères, dont on entendait plus parler depuis des lustres et qu’apparaît à côté du conseiller américain à la sécurité nationale et du secrétaire d’Etat Marco Rubio, un « assistant et envoyé spécial de Donald Trump pour la Russie et l’Ukraine », un certain Steve Witkoff, milliardaire, plus connu pour sa passion du golf que comme expert en traités internationaux, et qui a fait, lui aussi fortune, dans l’immobilier. C’est comme si Emmanuel Macron demandait à Stéphane Plazza, gérant d’un réseau d’agences immobilières, d’être son spécialiste des questions internationales !!
Dépecer l’Ukraine n’est pas sans nous rappeler qu’en 1945, l’Union soviétique de Staline avait déjà découpé l’Europe en deux : l’Est et l’Ouest, s’accaparant sur le dos de la défaite des armées hitlériennes la Pologne, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Bulgarie et une partie de l’Allemagne. Ne dit-on pas que l’histoire est un perpétuel recommencement. Et ce qui se passe aujourd’hui entre Washington, Moscou et Kiev n’est pas sans rappeler qu’à la fin de la seconde guerre mondiale les américains, eux aussi, avaient tenté d’exporter leur hégémonie sur le sol européen, notamment en France où Franklin D. Roosevelt voulait imposer l’administration US dans l’Hexagone, à commencer par une monnaie qui aurait remplacé le franc, d’où l’empressement de l’auteur de l’appel du 18 juin de nommer immédiatement des préfets dans les départements libérés, dès les premières heures du débarquement. Heureusement que de Gaulle ne s’en est pas laissé compter, lui que les vainqueurs de la seconde guerre mondiale, Staline, Roosevelt et Churchill, avaient évincé de la conférence de Yalta voici 80 ans, où ils s’étaient partagés le monde et répartis les rôles de dirigeants de la planète. Le drame aujourd’hui, c’est que n’est pas de Gaulle qui veut et que le costume est sans doute trop grand pour un Zélensky malgré tout son courage et la résistance héroïque du peuple ukrainien. L’Europe a d’ailleurs sa part de responsabilité dans la situation actuelle car entre 1990 et 2010 elle a préféré fermer les yeux, refusant de voir les évidences, se reposant exclusivement sur le parapluie nucléaire américain et s’obstinant à nier la nécessaire construction d’une politique de défense commune, seul moyen d’assurer sa sécurité. De ce point de vue, on peut véritablement parler des « Trente glandeuses » et non des Trente glorieuses, et on voit où cela nous conduit aujourd’hui.
Lundi dernier, à l’Elysée, Emmanuel Macron a bien tenté de reconstituer les morceaux épars du puzzle européen, mais c’était peine perdue, les alliances et les intérêts des uns et des autres étant trop divergeant. Le chef de l’Etat français verra bien Donald Trump la semaine prochaine à Washington, après toutefois que celui-ci ait reçu durant le week-end Cyril Hanouna, l’animateur de C8, dans sa propriété de Floride. Quelle humiliation ! Jupiter aura bu la coupe jusqu’à la lie. A Paris, l’Europe a acté une nouvelle fois son impuissance, au point d’apparaître efficace que lorsqu’il s’agit d’édicter des directives agricoles et industrielles à ses membres ou de leur imposer des centaines de milliers de normes et des contraintes budgétaires qui les ligotent littéralement. A l’heure du réveil des empires, américain, russe, chinois, turc, iranien, et de nouvelles conquêtes territoriales au détriment du droit international, le déclin européen est inquiétant et laisse présager des jours funestes à venir.
Un peu partout au nord et au sud, à l’est comme à l’ouest, des régimes populistes et des dirigeants despotiques mettent à mal une démocratie occidentale à bout de souffle, prête, telle une poule de luxe, à s’offrir au plus généreux. Et l’Europe qui, hier encore, était aux yeux du monde, un archipel de paix, de progrès et de liberté montre l’ampleur de sa faiblesse au point que le continent ne sera plus bientôt qu’un figurant dans le grand jeu international, après en avoir été un acteur majeur au cours des siècles passés. Qu’est devenue l’Europe des Lumières ? Pour l’Europe cet échec cuisant constitue une véritable Bérézina, du nom de la rivière biélorusse qui symbolise la défaite de l’armée napoléonienne en 1812 face aux russes. Bis repetita !
Et pendant ce temps deux autocrates jubilent et se tapent sur les cuisses : Poutine et Trump, au point que lors de leur rencontre prochaine en Arabie Saoudite, à Ryad, on ne sait pas encore s’ils partageront un Mc Do ou un Bortsch et lèveront leur verre de vodka ou de whisky, à la santé d’une Europe admise en soins palliatifs.
Entendez-vous ces râles d’agonie qui se font déjà entendre à Vienne, Berlin, Madrid, Rome, Bruxelles et Paris, le cœur bat encore mais le pouls est de plus en plus faible, et la signature de l’acte de décès n’est pas loin. Etre ou ne plus être, est plus que jamais la question, n’est-ce pas William ?
Jean-Yves Duval, journaliste écrivain
P.S : Je ne voudrais pas terminer cette chronique hebdomadaire sans m’arrêter un instant sur la situation inique qui est faite au maire de Béziers, Robert Ménard, poursuivi par la justice après avoir refusé de célébrer le mariage d’un individu qui a fait l’objet de deux OQTF et a été condamné à six mois de prison avec sursis pour vol avec violence. C’est oublier que si un maire est « officier de l’état civil », il est aussi « officier de police judiciaire ». Comment peut-on dans ces conditions lui demander tout à la fois de « respecter le droit » et de commettre une infraction ? Il y a là, entre le code pénal et le code civil une inadéquation de nos textes qu’il est urgent de corriger, afin notamment que des élus de la République ne soient pas traités comme des délinquants. Sinon, il y a fort à parier qu’il y aura encore de moins en moins de candidats à postuler demain pour un mandat de maire. Là aussi notre démocratie locale s’étiole et se délite de plus en plus.