Dans ces temps où la société se tourne de plus en plus vers l’intelligence artificielle et la robotisation, où les progrès technologiques et scientifiques sont fulgurants, où l’industrie spatiale se démocratise dans les pays émergents, où les applications numériques et informatiques ne cessent de progresser, il est presque réconfortant de constater le côté inamovible … de nos commodités urbaines, autrement dit de nos toilettes.
Le sujet peut prêter à sourire ou à révulsion car comme l’écrit Julien Damon *, qui par le passé, à proposé d’inscrire le kebab au patrimoine de l’Unesco, « en Occident, nous exécrons ce ce que nous excrétons ».
Le sujet de son ouvrage pourrait faire sourire en effet si l’auteur n’était sociologue, professeur de sociologie à Sciences Po et à HEC. A l’en croire, se rendre aux petits coins est d’une banalité confondante, à raison de quatre ou cinq passages quotidiens, soit dix minutes par jour. Nous passerions ainsi 0,7% de notre existence aux toilettes, nous nous y délestons de 1 litre d’urine et 200 grammes de matière fécale quotidiennement, soit sur une vie de quatre-vingts ans, un total de 30 000 litres et 6 tonnes. Impressionnant, n’est-ce pas ? Voilà un calcul auquel se livre bien peu de gens, à moins bien sûr d’être sociologue.
Il fallait au moins un chercheur-trouveur pour nous fournir une précision aussi essentielle pour l’avenir de l’humanité. Et d’en venir ensuite dans son livre aux pots de chambre et autres sanisettes, en passant par les latrines collectives romaines, sans omettre les files d’attente devant les sanitaires, plus longues chez les femmes (celles-ci doivent s’accroupir ce qui allonge le temps de passage) que chez les hommes. L’auteur ne nous épargne aucun détail, promis, juré, vous saurez tout, absolument tout sur nos commodités.
Saviez-vous, par exemple qu’aujourd’hui 99,3% des ménages français possèdent un siège à chasse d’eau mais que 80 % des logements n’avaient pas de WC intérieur en 1946 ? Que la défécation à l’air libre reste le quotidien pour 60% des peuples africains et asiatiques : 500 millions de personnes contre 1,3 milliard en 2000, et que l’utilisation du PQ est loin d’être généralisée ?
Bill Gates a même fait de cette cause un cheval de bataille, au point de se laisser photographier, non pas en selle, mais sur son trône.
Plus sérieusement, il s’agit là d’un enjeu sanitaire important, sans oublier que les toilettes à chasse d’eau sont gourmandes en ressources naturelles précieuses, peu compatibles donc avec le défi environnemental. Il devient de ce fait urgent de conjuguer WC à bas coût, low cost, et WC écolos. Pas si simple !
Et notre sociologue de proposer d’intégrer demain dans les projets urbanistiques un « droit aux toilettes » comme hier on a imposé un ratio de places de parking en fonction du nombre de logements d’un immeuble collectif. Une autre proposition consisterait à subventionner les bars et les restaurants afin qu’ils accordent un libre accès de leurs toilettes à tous, et pas seulement à leurs clients. Ne voila-t-il pas une bonne idée ?
Il ne faut jamais se moquer d’un sociologue *, qui plus est chercheur, même sur un sujet d’apparence secondaire, mais assurément pas futile, comme celui des toilettes. Outre que cela dit beaucoup de l’état de nos sociétés et des inégalités entre pays riches et pays pauvres, il en va de l’estime de soi ce qui en fait un sujet tabou.
* « Toilettes publiques » Essai sur les commodités urbaines – Les Presses de Sciences Po, 16 euros
- En obtenant naguère un certificat de sociologie au CNAM j’étais loin d’imaginer qu’un sociologue rédigerait un jour une thèse sur nos toilettes, comme quoi il n’y a pas de sujets interdits, ce qui nous rappelle le fameux slogan de mai 68 « Il est interdit d’interdire ».