Nul n’ignore que j’aime écrire et lire, aussi personne ne sera surpris que j’exprime aujourd’hui ma mauvaise humeur, voire même ma colère, à l’occasion de la « mise sous cloche » des bouquinistes des quais de Seine durant les Jeux Olympiques, qui vont se dérouler en France cette année.

Celle-ci est en effet révélatrice d’une atteinte générale au « patrimoine » de la capitale par la Mairie de Paris. Il s’agit d’un coup mortel porté à l’esprit parisien si l’on songe que cela fait plus de quatre siècles que l’on vend des bouquins et des cartes postales sur ces quais, pour le plus grand bonheur des habitants de la capitale et des touristes. Cette fermeture administrative  porte atteinte cruellement à une exception culturelle française, à laquelle les français dans leur ensemble et les parisiens en particulier sont très attachés.

Au-delà de cela, il y a également un risque de voir disparaître un certain nombre de bouquinistes, pourtant inscrits depuis 2019, à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel de la France. C’est d’autant plus vrai qu’à ce jour ils n’ont toujours aucune garantie de voir leurs boutiques remontées après les JO. Espérons également qu’ils seront indemnisés à hauteur du préjudice subi et de leur perte de chiffre d’affaires car eux aussi pouvaient prétendre bénéficier de l’afflux de touristes du monde entier pour réaliser une année exceptionnelle. Exit leurs emblématiques boîtes vertes ! En 450 ans d’existence jamais on n’avait retiré ces boîtes, même durant l’occupation où des soldats allemands y farfouillaient à la recherche de livres.

Après les kiosques à journaux, les colonnes Morris, verra-t-on demain disparaître ce qui fait l’identité et le charme de Paris ? Cela me rappelle la célèbre phrase de Clémenceau : « Les fonctionnaires sont comme les livres d’une bibliothèque, ce sont les plus hauts placés qui servent le moins ». Plus de bouquinistes, plus de lecteurs, c’est aussi simple que cela. « Poubelle ! » comme aurait le préfet (éponyme) de la Seine qui donna son nom aux récipients contenant les déchets ménagers afin d’améliorer l’hygiène de la ville de Paris.

Et puisque je viens de faire allusion au passé, poursuivons un instant notre incursion dans l’histoire avec cet article paru dans la presse parisienne le 6 novembre 1899. Il est d’une surprenante actualité, un siècle après :

« Il m’intéressa toujours, le bouquiniste. Il m’intéresse encore davantage, aujourd’hui qu’il est question de l’exproprier sans indemnité préalable. Le progrès des chemins de fer intra-urbains vient lui dire : Ôte-toi de là, que je m’y mette ! Il a besoin, le progrès, de démolir les quais, d’éventrer les berges ; et, les boîtes à bouquins lui barrant le passage, vlan ! il les jette d’un seul coup dans la Seine, ou peu s’en faut. On offre aux bouquinistes le choix entre cette noyade et l’exil. On parle de les reléguer sur les quais de la rive droite, ignorés de la flânerie, ou de leur offrir asile dans les parages d’Ivry. Autrefois, la question aurait soulevé un tollé d’indignation, les bouquinomanes étaient légion alors »

A l’époque le maire de Paris s’appelait Louis Lupicia, un radical socialiste qui avait été condamné aux travaux forcés à perpétuité (!) et amnistié en 1880. Aujourd’hui Anne Hidalgo à perdu la mention « radical » de l’étiquette, mais conservé l’appellation contrôlée « socialiste ». Pas sûr cependant que les nouveaux SDF des quais de Seine voteront pour elle si elle se représente en 2026, elle aura alors du temps pour lire.

Encore faudra-t-il pour cela, qu’elle trouve un bouquiniste d’ouvert.